A trop vouloir ne parler que des problèmes, on oublie les individus. A trop vouloir une société idéale, on en arrive à la Chine de Mao, dans laquelle toute différence, fût-elle culturelle ou même vestimentaire, était considérée comme un crime. On reconnaît immédiatement une démocratie à son respect des citoyens. Liberté d’entreprendre, certes, mais qui peut prétendre que le libéralo-communisme chinois, encore empêtré de parti unique, avec un commissaire politique derrière chaque individu, soit une démocratie ? La liberté ne se loue pas par appartements. Pas plus que l’égalité. La liberté de pensée, et l’égalité en droits de chaque citoyen sont des préalables indispensables pour parler de démocratie.
La France a eu l’immense chance dans son histoire Républicaine d’élaborer la notion de laïcité, par laquelle l’Etat est libéré de toute sujétion à l’égard de l’Eglise, autant que du pouvoir aristocratique. Les rangs sociaux héréditaires d’un système de caste archaïque nous sont ainsi épargnés. Pour la République, chaque citoyen compte. Un homme, une voix. Le pouvoir est délégué à la Nation par les citoyens. Pas par les associations, les syndicats, les bureaux d’études, les partis ou les intellectuels, encore moins par la famille ou les églises. Chaque citoyen dans le secret de l’isoloir délègue ainsi aux élus la responsabilité de le représenter. Dommage que certains l’oublient trop souvent, préférant la parole de soi-disant sages cooptés par leurs soins, à la voix du peuple.
Corollaire de l’égalité, chaque citoyen est libre de penser ce qu’il veut, et de croire ou non à la religion qui naguère dominait la société. A trop parler de liberté, cependant, on peut oublier l’autre face de la médaille : les responsabilités qui vont avec. La toute première étant le respect de l’opinion des autres. Par essence, la liberté de débat va avec la liberté de pensée. Ainsi, ce n’est pas parce qu’on est en désaccord avec l’opinion de l’autre qu’il doit être privé de la parole. Par exemple ce n’est pas parce que d’aucuns préfèrent la musique populaire à Mozart qu’on doit les priver de droit de vote. Le conformisme étant cependant ce qu’il est, les salons où l’on cause autant que les écrans sont pleins de maîtres à penser qui disqualifient avec entrain le bon peuple. Comme si soudain, la cuistrerie et la pensée rosâtre unique remplaçaient la citoyenneté. N’en déplaise aux censeurs, pas plus les évènements de 1968 que la Révolution de 1789 n’appartiennent à quiconque, sauf à l’histoire, et au peuple français tout entier. Du plus modeste agriculteur au plus brillant philosophe médiatique. Chaque citoyen a le droit de s’exprimer, qu’il soit clerc ou plébéien. C’est une des plus belles conquêtes de notre République.
De la société majoritairement rurale de l’après-guerre qui vit l’avènement de la Constitution de 1958 à notre époque, les choses ont bien changé. Dans les villes de ce début de IIIème millénaire, le maire, l’instituteur et le curé ne sont plus seuls à s’exprimer. Sur les autoroutes de l’information, chaque citoyen peut faire valoir son opinion. Dans la vie de tous les jours, le carcan de la tradition ne cloître plus les femmes, et ne blâme plus comme filles-mères des mamans célibataires aujourd’hui honorées pour leur dignité. Il a aussi fallu beaucoup de courage à Simone Weill pour qu’enfin le droit de disposer de leur corps soit reconnu aux femmes, malgré les interdits de l’église. A la manière dont aujourd’hui les jeunes filles musulmanes se débarrassent peu à peu du joug coutumier, nos mères et nos sœurs se sont progressivement épanouies en laïcité.
Quel est le tout petit élément qui a changé, en cinquante ans ? Presque rien, qui a peut-être moins à voir avec la politique et les suffragettes du 19ème siècle, qu’avec la culture républicaine. Il se trouve que les femmes, à travers notamment les journaux qui leur étaient réservé, mais aussi la vie urbaine, qui les débarrassaient petit à petit du poids des traditions, ont cessé d’accepter le sort qui leur était fait. Chaque fille-mère émigrée à la ville, reniée par sa famille, a élevé ses enfants dans le respect de la femme célibataire.
Combien de femmes ont franchi silencieusement les frontières, à l’époque, pour goûter à une liberté interdite dans leur pays ? Des familles entières ont alors mesuré la barbarie de l’interdit qui les frappait. Ce n’est pas tant les slogans du MLF qui ont changé les choses, que chaque citoyenne, chaque famille qui l’entourait, qui ont modifié notre culture. Car c’est bien cela qui a tout changé : la culture. Pas un mot d’ordre communautaire, mais tout simplement le comportement de chaque femme, et de ses proches. Au lieu de se laisser abuser, chaque citoyenne a exercé son droit à la liberté républicaine. Notamment la liberté de penser par elles-mêmes, sans laisser les autres décider à leur place.
Dans notre société, il existe encore des catégories de citoyens pour lesquels on prétend décider à leur place, au nom de l’église ou de la tradition. Au premier rang, les malheureux adolescent masculins un peu trop efféminés, ou les filles un peu trop garçonnes, par exemple. Avec une identité de genre peu en accord avec leur sexe, certains subissent des brimades à l’école, voire des manipulations mentales cruelles de la part de psys ou de maîtres de conscience à tout le moins douteux. Chaque jeune homme, chaque jeune fille qui s’évade de province ou de sa famille pour vivre son homosexualité au grand jour exerce simplement sa liberté de penser. Au nom de quoi quiconque viendrait-il lui dire comment s’habiller, avec qui s’amuser, comment et qui aimer ? Pas une République véritablement laïque, en tous cas.
Dans l’Europe qui s’élargit, les nouveaux états-membres doivent satisfaire à des critères sévères de respect de la liberté individuelle et de liberté de pensée. Ainsi, la Pologne, pourtant largement influencée par la tradition religieuse, a dû renoncer à ses lois homophobes. Le traité d’Amsterdam, puis le traité de Nice, réclament tous deux un traitement identique pour les couples de même sexe, et les unions homme-femme. La prochaine Constitution Européenne reprendra les mêmes dispositions. Pourquoi la France ne suit-elle pas l’exemple pragmatique de ses voisins néerlandais, en reconnaissant tout simplement aux homosexuels le droit de marier ? Question de culture, sans aucun doute, autant que résultat du statut discriminatoire du PACS inventé par une gauche soucieuse de maintenir des inégalités qui lui servent de fond de commerce.
Dans l’Europe de demain matin, de telles disparités de traitement entre états modernes seront difficiles à justifier. Ce ne sont pas les slogans communautaristes récupérateurs, les bars de rencontre ou les drapeaux de pacotille qui libéreront les homosexuels du joug des traditions. Ce sont les citoyens eux-mêmes, par leur comportement, par leur dignité, par leur bulletin de vote. Militants gays ou élus de la Nation, philosophes, psys et curés des plateaux télé doivent comprendre qu’à l’image des femmes naguère, le comportement de chaque individu, et tous ses proches, changent la société quel qu’en soient les résistances. Ce n’est pas en taxant de communautarisme ou en tentant de manipuler des citoyens qui subissent la discrimination que les homosexuels disparaîtront.
Ils sont français, pas extra-terrestres, et ne sont pas près de s’en aller. Ainsi, la culture change sous les pieds des puissants. Sans démagogie, mais avec pragmatisme, la République doit reconnaître tous ses enfants, et les élus doivent représenter tous leurs administrés. A défaut, c’est la France qui se déshonore.