Archive mensuelle 20 mars 2021

“PMA & filiation : où en est la loi ?” interview de Véronique Cerasoli (SOS homophobie)

Suite au Facebook Live organisé par Gaylib le 26 janvier 2021, nous avons souhaité revenir sur le projet de loi bioéthique ouvrant la PMA à toutes les femmes en interrogeant cette semaine Véronique Cerasoli, spécialiste des thématiques LGBT+ et féministes. Chargée des questions PMA au sein de SOS homophobie, elle est également responsable du plaidoyer et porte-parole de l’association. À ce titre, elle organise et participe à de nombreux ateliers, colloques et conférences sur ces thématiques. 

Peux-tu te présenter en quelques lignes ? 

Véronique Cerasoli : Avec plaisir. Je suis militante pour l’égalité des droits des personnes LGBTI+ au sein de l’association SOS homophobie. Notre association a également pour mission de soutenir les victimes et prévenir les violences LGBTIphobes. En parallèle de mes activités assez diverses au sein de l’association, j’y suis depuis 2 ans porte-parole et chargée des questions PMA.   

L’interdiction de la PMA aujourd’hui en France pour certaines femmes est-ce une forme de lesbophobie ? de discrimination ? 

Véronique Cerasoli : L’interdiction de la PMA en France à certaines personnes en raison de leur orientation sexuelle, leur statut marital ou leur identité de genre est éminemment discriminatoire, oui.  

Soyons clair.es : la loi actuelle réserve l’accès à la PMA aux seules femmes en couple avec un homme. C’est un choix que le législateur a fait en 1994 d’exclure toute femme qui ne répondrait pas à ce critère ô combien excluant et qui témoigne d’une vision conservatrice du couple et de la famille. Choix que de nombreux pays n’ont d’ailleurs jamais fait. Il y a 27 ans maintenant, les femmes en couple avec une femme et les femmes solos se retrouvent donc exclue de l’accès à la Procréation Médicalement Assistée du jour au lendemain alors qu’elles y avaient accès jusque-là, notamment via les Insémination Artificiel avec Donneur (IAD). Notons qu’à ce moment- là, les personnes trans ne font absolument pas partie de la réflexion du législateur. Les femmes lesbiennes et solos donc, à seule raison de leur orientation sexuelle ou leur statut conjugal, sont priées à partir de 1994 de se débrouiller seules ou d’avoir recours à des PMA à l’étranger avec tous les risques sanitaires et les inégalités économiques que cela implique.  

L’hypocrisie depuis est totale et le Parlement feint d’ignorer que ce que demande ces familles ce n’est pas une quelconque autorisation ou une nouvelle possibilité de faire des enfants, qu’ils et elles font déjà, mais bel et bien une même protection sanitaire et juridique pour elles et leurs familles que celle accordée aux couples hétérosexuels. Bref l’application du principe fondateur d’égalité entre les citoyennes et les citoyens de notre pays à même technique médicale et objet de droit.   

Le texte proposé est-il encore discriminant pour les personnes trans ?  

Véronique Cerasoli : Oui, il l’est. D’abord, l’article 1er qui ouvrirait (car nous devons encore parler au conditionnel !) la PMA à de « nouveaux publics » pour reprendre les termes de la loi, vise les femmes solos et les femmes en couple lesbien. C’est certes un immense soulagement pour des milliers de femmes, mais les hommes trans qui souhaiteraient porter leur enfant sont totalement exclus de ce texte. Le gouvernement n’a jamais été envisagé de les inclure. Toutes les associations militant pour les droits des femmes et des personnes LGBTI+ dénoncent cette discrimination insupportable en 2021. En plus d’être une violation évidente de la liberté de chacun.e à disposer de son corps et de ses droits reproductifs, cela vient contredire les avancées de la loi votée en 2016 en France qui permet aux personnes trans ce changer de sexe à l’état civil sans passer par une stérilisation forcée.  

De surcroît, les dispositions proposées par le gouvernement dans l’article 2 concernant l’auto-conservation des gamètes si elles étaient confirmées en l’état, ne garantissent en rien la possibilité aux personnes trans de conserver leurs gamètes, puis de pouvoir y recourir ensuite dans le cadre de leur propre projet parental. C’est-à-dire qu’une personne trans, si tant est qu’elle ait pu faire conserver ses gamètes ne serait pas autorisée à les utiliser pour elle-même au sein de son couple, tout en étant autorisée à recourir à un tiers donneur : on marche sur la tête !  

Quel pays européen est devenu la référence en accès à la PMA ? 

Véronique Cerasoli : Référence, je ne sais pas. Ce que nous savons en revanche c’est qu’en raison de législations favorables et de la proximité géographique, la Belgique et l’Espagne sont parmi les destinations privilégiées des personnes exclues de la PMA en France. Le Danemark aussi. J’ajoute que depuis 1 an, les restrictions de déplacements, les fermetures de frontières et les difficultés rencontrées par les systèmes de santé partout en Europe ont un impact direct sur les candidat.es à la PMA et beaucoup de projets ont été stoppés nets.  

Quels sont d’après toi les manquements, incohérences de ce texte ? 

Véronique Cerasoli : Ils sont nombreux. Pour les manquements, l’exclusion des hommes trans de l’accès à la PMA et l’empêchement aux femmes et aux hommes trans de disposer librement de leurs droits reproductifs sont un contre-sens total dans une loi qui devait acter la fin de discriminations rétrogrades, sexistes, lesbophobes et transphobes.   

Parlons également du sort réservé aux couples lesbiens en termes de filiation. Pour les couples de femmes qui devraient bel et bien avoir accès à la PMA avec tiers donneur, le système de filiation qui est prévu dans le texte est discriminatoire. En effet, la PMA avec tiers donneur existe déjà ainsi que son système de filiation qui garantit le lien entre le parent qui n’accouche pas et son enfant. Les couples lesbiens devraient donc logiquement en bénéficier car ils sont placés dans la même situation que les couples hétérosexuels. C’est ce qu’on appelle l’extension du droit commun. ET c’est la seule option pour une véritable inclusivité. Le gouvernement résiste mais l’idée est pourtant simple : à même conception, même filiation. La seule différence entre ces couples ayant recours à un tiers de donneur, de sperme en l’occurrence, est que le second parent dans un cas est un homme, dans l’autre une femme et que la mère qui accouche dans un cas est considérée comme hétérosexuelle, et homosexuelle dans l’autre. Dans les 2 situations, ce second parent n’a pas de lien biologique avec l’enfant. Je laisse à chacun qualifier ce traitement différencié en raison du sexe ou de l’orientation sexuelle des personnes concernées. Le refus d’appliquer le droit commun aux couples lesbiens et de créer artificiellement un droit dérogatoire, qui embarrasse d’ailleurs jusque sur les bancs de la majorité, témoigne de l’ancrage du modèle hétéro-normé du couple dans nos institutions.   

Pour finir la discrimination ne s’arrête pas là, puisque le gouvernement entend noter sur l’acte de naissance des enfants nés d’une PMA avec tiers donneur dans un couple de femmes la mention d’une reconnaissance anticipée, document qui serait créé spécifiquement pour ces familles. C’est bien évidemment inacceptable et corrompt la nature même de l’acte de naissance qui deviendrait en cette occasion un document indiquant non plus simplement la filiation de l’enfant – une construction sociale – mais bel et bien son mode de conception.  

Parlons d’une autre incohérence : le principe de primauté de l’utilisation des gamètes disponibles au sein des couples, fondateur pour la PMA réservée aux couples hétérosexuels mais refusé aux couples lesbiens et trans. Illustrons avec la ROPA : dans un couple de femmes lesbiennes, si la femme qui porte l’enfant doit recourir pour diverses raisons à des ovocytes qui ne sont les siens, alors on lui permettra de recourir à un don anonyme mais pas d’utiliser ceux de sa femme. Autre illustration, dans un couple composé d’une femme cis qui portera l’enfant et d’une femme trans qui aurait conservé ses gamètes, on autorisera au couple le recours à un tiers donneur mais pas l’utilisation des gamètes de la seconde mère de l’enfant. Encore une fois on marche totalement sur la tête.  

Finalement, comment corriger les incohérences du projet de loi bioéthique ouvrant la PMA ?

Véronique Cerasoli : Précisons que ceux-là même qui refusent aux couples lesbiens et trans cette possibilité sont souvent les mêmes qui défendent corps et âme un accès élargi aux origines. Et bien la cohérence voudrait que quelle que soit l’orientation sexuelle ou l’identité de genre des parents, l’on recoure alors en priorité aux gamètes disponibles au sein du couple, non ? Mais il est vrai que la majorité des personnes LGBTphobes s’embarrassent rarement de cohérence.  

Enfin de nombreuses avancées que nous soutenons et qui sont portées par les associations et personnes concernées telles que GayLib, le Planning Familial, l’APGL, Mam’en Solo, BAMP! ou encore l’InterLGBT manquent à ce texte. Notamment sur de nombreux aspects médicaux qui amélioreraient les parcours PMA pour les personnes concernées.   

In fine, ce texte réécrit en 2021 créé de nouvelles discriminations et la promesse d’égalité et d’inclusivité n’est pas au rendez-vous ! Si notre travail de pédagogie réussit à convaincre de nombreu.ses parlementaires de l’évidence de la diversité et la nécessaire égalité entre les familles, force est de constater que bien des verrous au sein de nos institutions et du Parlement demeurent. La lutte pour l’égalité des droits des femmes et des personnes  LGBTI+ est loin d’être terminée !  

Pour aller plus loin :

“PMA & filiation : où en est la loi ?” Interview de Laurence Brunet

Suite au Facebook Live organisé par Gaylib le 26 janvier 2021, nous n’avions pas pu répondre à toutes les questions légitimes des internautes. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité revenir sur le projet de loi bioéthique ouvrant la PMA à toutes les femmes en interrogeant cette semaine Laurence Brunet, juriste chercheuse à l’ISJPS (institut des sciences juridiques et philosophiques de La Sorbonne). 

Peux-tu te présenter en quelques lignes ?

Laurence Brunet: Juriste, chercheuse associée à ISJPS-Université de Paris 1. Je suis spécialiste de droit des personnes et de la famille. Je travaille depuis plusieurs années sur les nouvelles configurations familiales issues des avancées de la médecine de la reproduction humaine (assistance médicale à la procréation) et de la libéralisation des cadres familiaux (divorce, recomposition familiales, naissances hors mariage, concubinage, pacs et mariage des personnes de même sexe)

Selon toi, quand dans l’Histoire, et comment observe-t-on la volonté de faire famille par les personnes LGBT ?

Laurence Brunet : Je ne suis pas sociologue et mon instrument de mesure pour appréhender ce phénomène est  essentiellement la jurisprudence, c’est-à-dire les décisions qui sont rendues par les tribunaux français en matière familiale. A partir des années 90, des décisions sont publiées qui montrent que les couples de même sexe s’autorisent à faire famille. La première forme concerne des projets de co-parenté (deux parents homosexuels -en couple ou non-, de sexe différent et ne vivant pas ensemble) qui s’entendent pour mettre au monde un enfant.  C’est l’époque où l’on voit dans des journaux des petites annonces dans lesquelles des hommes ou des femmes homosexuel(le)s cherchent à rencontrer une femme ou un homme homosexuel(le) prêt(e) à partager avec eux/elles la réalisation d’un projet parental. Une affaire de cette sorte est jugée par la Cour de cassation en 1994 : un couple de femmes avait passé une annonce pour « recruter » un donneur de sperme avec lequel l’une d’entre elles avaient été inséminée à son domicile. Un enfant était né, reconnu avant la naissance par ses deux auteurs biologiques. Cependant les deux femmes souhaitaient élever seules l’enfant et cherchèrent à écarter le père. Pour rejeter la prétention du couple d’homosexuelles, la Cour de cassation fit application des règles du droit commun de la filiation : le père se vit reconnaître un droit d’exercice conjoint de l’autorité parentale. En creux de cette décision émerge une nouvelle forme de pluriparentalité : les géniteurs sont les seuls parents légaux investis de l’autorité parentale mais le compagnon de même sexe avec qui chacun des parents peut éventuellement vivre est associé de fait à l’éducation quotidienne de l’enfant, mais en dehors de tout statut légal. 

 A partir des années 2002, les couples de femmes commencent à se déplacer à l’étranger, dans des pays où elles peuvent bénéficier d’une AMP avec don de sperme, sans être ressortissantes ou résidentes de ces pays (Belgique, Espagne). Celle qui porte l’enfant et en accouche en France est tenue pour la mère légale de l’enfant. Tout l’enjeu est de savoir comment sa compagne pourra faire établir un lien de droit avec cet enfant. L’adoption plénière n’est pas possible : il faut être marié. La seule solution envisageable est l’adoption simple mais elle est refusée par la Cour de cassation en 2007. A partir de 2006, les juges autorisent néanmoins la mère à partager l’exercice de son autorité parentale avec la femme avec laquelle elle vit de manière stable. Mais celle-ci ne pourra être reconnue comme parent (par adoption intrafamiliale) avant la loi du 17 mai 2013.  

Un enfant né d’une PMA dite artisanale ne pourra être reconnu ? adopté ?

Laurence Brunet :  Lorsque la révision de la loi de bioéthique sera votée, elle n’autorisera l’établissement immédiat de la filiation (par reconnaissance conjointe préalable devant notaire) à l’égard des deux femmes qui se sont engagées dans un projet parental commun que si l’AMP a eu lieu dans un service de médecine de la reproduction avec un donneur anonyme.  L’enfant né d’une AMP artisanale ne pourra pas bénéficier de ce mode d’établissement ;  c’est le droit actuel qui continuera à s’appliquer. Il faudra que la mère sociale (celle qui n’en aura pas accouché) introduise une demande d’adoption, à la condition que le géniteur (donneur de sperme connu) n’ait pas déjà reconnu l’enfant. Toutefois les dispositions sur l’adoption sont aussi en cours de révision et il ne devrait plus être exigé de la mère sociale qu’elle soit mariée avec la mère légale pour pouvoir adopter l’enfant issu d’un tel projet. La concubine ou la partenaire pacsée de la mère légale devraient pouvoir demander une adoption intrafamiliale. 

La PMA sera-t-elle autorisée pour un couple de femmes avec un donneur connu (sans droit pour le donneur) ? Y a-t-il une filiation prévue dans le texte pour les inséminations avec donneur connu ?

Laurence Brunet : Non, une telle AMP ne sera pas autorisée et aucune disposition ne protégera donc le statut parental de celle qui n’aura pas accouché de l’enfant. Le donneur pourra toujours reconnaître l’enfant et empêcher ainsi l’établissement de la filiation (par adoption) à l’égard de celle des deux femmes qui n’a pas accouché. 

Qu’est-il prévu pour améliorer l’accès au don (longue liste d’attente) ?

Laurence Brunet :  Rien dans les textes. Il revient à l’Agence de biomédecine, en charge notamment de la promotion du don de gamètes, d’organiser des campagnes de sensibilisation, ce qui a été plusieurs fois entrepris.