À l’occasion de la Journée internationale de la visibilité lesbienne, Sarah El Haïry, Ministre de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles, revient avec GayLib sur les circonstances de son coming-out en 2023 et ce que cela représente encore en 2024.
En avril 2023, vous avez fait votre coming-out dans un entretien avec le magazine Forbes, devenant ainsi la première femme ministre française à rendre publique son homosexualité. Pourquoi était-ce important pour vous de faire cette démarche ?
Il n’y a pas eu de volonté absolue ni un acte de se dire « je vais faire mon coming out public ». Il y a eu en revanche un acte de sincérité, un acte du quotidien de dire « ma compagne ». Il n’y a pas eu d’acte de revendication de ma part dans le sens où en 2024 chacun a le droit de vivre avec qui il souhaite, sans se cacher. J’ai vu qu’au final ça n’était pas si fluide, pas si simple que j’aurais remplacé mon mari par ma compagne ça n’aurait pas fait une ligne. Et nous sommes en France en 2024.
Depuis, à ma façon, avec beaucoup d’humilité, j’aide à libérer la parole sur le sujet, pour permettre à mes enfants et ceux de toutes les familles de grandir dans une société sans jugement ni tabou. Et aussi pour tous les jeunes qui ont peur, qui appréhendent parce que souvent le contexte familial n’est pas propice.
En voyant les réactions de certaines personnes malveillantes, haineuses voire menaçantes sur les réseaux sociaux, j’ai réalisé qu’il y avait encore du travail pour que demain les jeunes filles puissent dire « ma compagne » sans que ça ne crée ni commentaire ni article de presse.
Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels les femmes lesbiennes font face lorsqu’elles se lancent en politique en France ?
Je déteste l’essentialisation, je ne pense pas que ça crée du commun, donc je ne vais répondre que partiellement à la question. Et tout simplement parce que je ne me lève pas tous les matins en me disant que « chouette je suis lesbienne ! ». Je pense en revanche que ça révèle des compétences et des valeurs.
Je pense qu’il faut forcément du courage, de l’authenticité, qu’il faut un ancrage fort, on ne le fait pas toute seule !
Il faut de la force en politique comme en entreprise, que ça donne un leadership augmenté, une puissance décuplée car c’est un acte de rupture dans les normalités sociétales et cela rend fort.
Quelles sont les initiatives ou les actions que vous estimez nécessaires pour accroître la visibilité des femmes lesbiennes dans l’arène politique française ?
Je pense profondément que pour les jeunes, pour nos enfants il faut banaliser. Pour banaliser, il faut des personnalités publiques diverses : chef d’entreprise, sportive, politique, influenceurs, journalistes qui doivent montrer que :
1 : ça n’est pas un drame
2 : on construit sa vie, que c’est possible
3 : que l’on peut être très heureux comme on est sans se cacher, sans mentir et se mentir.
Comment les partis politiques pourraient-ils davantage promouvoir la visibilité des femmes lesbiennes, dans leurs rangs et parmi les élues ?
Je pense que les partis politiques ont un rôle essentiel à jouer dans la promotion de la visibilité des femmes en général sur la scène politique française…
Pour ma part, j’ai toujours senti au Modem (avec Centre Egaux notamment) une certaine bienveillance et une capacité d’écoute. Mais ce n’est pas le cas partout malheureusement.
Quel est votre regard sur l’invisibilité des lesbiennes dans la société plus globalement (causes, conséquences, solutions) ?
Je pense que par nature, les femmes sont plus discrètes, je le vois tous les jours dans les réunions, dans mes rencontres, dans mes entretiens : elles osent moins en se disant que ça n’a pas d’importance, que c’est privé, ou que ça n’intéresse personne. Et donc, à l’échelle sur le sujet de l’homosexualité, c’est dans ce schéma.
Il y a donc un double levier : briser le plafond de verre, oser dire, ne pas s’auto censurer. Il s’agit du ressort individuel de chacune. L’autre levier est sociétal, il s’appelle la tolérance, l’ouverture.
En 2024 en France, on aime et l’on vit et l’on fait famille avec quelqu’un du même sexe, c’est une liberté individuelle fondamentale qui ne doit souffrir d’aucune discrimination.
À cet égard, faisons respecter la loi et n’ayons aucune complaisance !
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